La Cour de Cassation juge qu’un salarié ne peut être licencié pendant un arrêt maladie qu’en cas de manquement à son obligation de loyauté.
Sur les faits :
Par contrat de travail à durée indéterminée du 9 juin 2011, Monsieur T. a été engagé en qualité d’employé commercial, hôte de caisse par une société de distribution. Il a été victime d’un accident de travail le 29 mai 2012 et placé à ce titre en arrêt de travail de manière continue jusqu’au 31 octobre 2013. Par mise en demeure des 28 novembre et 9 décembre 2013, son employeur lui a demandé de justifier de son absence, depuis le 31 octobre 2013.
Cependant, Monsieur T. n’a adressé à son employeur un nouvel arrêt de travail qu’à compter du 1ᵉʳ décembre 2013 jusqu’au 31 mars 2014. C’est dans ces conditions, que l’employeur a pris la décision de licencier Monsieur T. pour faute grave, à savoir ses absences injustifiées depuis le 1ᵉʳ novembre 2013.
Sur les principes en matière d’absence en cas d’arrêt de travail :
Les obligations de l’employeur
Des étapes sont à respecter :
- Étape 1 : Établir une attestation de salaire indispensable pour permettre au salarié le versement des indemnités journalières auxquelles il peut prétendre. Elle doit être transmise soit par le biais de net-entreprises.fr soit par logiciel de paie certifiée ou encore à la Caisse Primaire d’Assurance-Maladie du salarié. L’employeur doit également verser une indemnité complémentaire à son salarié qui justifie d’une année d’ancienneté, a bien adressé un certificat médical dans les 48 heures suivant son arrêt et bien entendu, s’il perçoit des indemnités journalières versées par la Sécurité Sociale et est bien soigné en France ou au sein d’un des pays membres de l’espace économique européen ;
- Étape 2 : Vérifier que le salarié est bien présent à son domicile durant les heures d’interdiction de sortie prévue par l’arrêt de travail ;
- Étape 3 : S’assurer que l’état de santé du salarié est en cohérence avec l’arrêt de travail et sa durée : une contre-visite peut ainsi être organisée par un médecin de son choix, spécialisé dans ce type de contrôle. Le salarié n’a pas à en être informé ;
- Étape 4 : Analyser la réponse au courrier de mise en demeure en cas de défaut de réception de la prolongation de l’arrêt de travail ;
- Étape 5 : Prendre une décision.
Les obligations du salarié :
- Le salarié dispose d’un délai de 48 heures pour faire parvenir à son employeur un justificatif d’arrêt de travail pour maladie, sauf dispositions particulières à certaines conventions collectives ou à son contrat de travail. La loi du 19 janvier 1978 sur la mensualisation fait même de cette obligation la condition du bénéfice du maintien de salaire qu’elle met en place à la charge de l’employeur au profit des salariés. Il faut toutefois noter que le certificat médical peut être remplacé par un autre document de nature à informer l’employeur de l’arrêt de travail (Cour de Cassation 4 octobre 1990). De même, l’employeur qui a connaissance de la maladie du salarié par exemple par téléphone ou parce que le salarié indisposé avait sollicité et obtenu l’autorisation de quitter son lieu de travail ne peut rompre le contrat de travail en se prévalant du non-respect du formalisme par le salarié (Cour de Cassation 6 mai 1998) ;
- Le salarié doit se soumettre le cas échéant à une contre-visite médicale. C’est la contrepartie du maintien de salaire pendant l’absence pour maladie ou pour accident qui prévoit cette possibilité. Cette contre-visite médicale vise uniquement à vérifier si l’employeur est tenu de verser les éventuelles indemnités complémentaires mises à sa charge au salarié peut permettre de sanctionner le salarié ;
- Le salarié dont l’absence pour maladie a duré au moins 30 jours, doit obligatoirement subir une visite médicale de reprise, lors de la reprise du travail et au plus tard dans un délai de huit jours. Il en est de même pour des absences répétées pour raison de santé. Elle est effectuée par le médecin du travail. Cette visite médicale a pour but d’apprécier l’aptitude du salarié à reprendre son ancien emploi, la nécessité d’une adaptation des conditions de travail ou d’une réadaptation du salarié ou éventuellement de l’une ou l’autre de ces mesures ;
- Le salarié doit s’abstenir pendant l’arrêt maladie d’exercer une activité professionnelle. Il est clair que le fait de travailler pendant son congé prouve que son indisponibilité n’est pas réelle ;
- La suspension du contrat de travail provoqué par la maladie ou l’accident ne supprime pas d’obligation de loyauté du salarié à l’égard de l’employeur. Cette notion correspond à l’exécution de bonne foi par le salarié de son contrat de travail, même suspendu par la maladie. Il n’en demeure pas moins que le salarié est dispensé de son obligation de fournir sa prestation de travail est donc pas tenu durant cette période de poursuivre une collaboration avec l’employeur. C’est ainsi que le fait d’avoir refusé de prendre contact avec ses collègues durant l’arrêt maladie ne saurait en aucun cas justifier le licenciement du salarié (Cour de Cassation 15 juin 1999) ;
- Le salarié doit naturellement reprendre son poste au terme de ses arrêts.
Sur la portée de l’arrêt de la Cour de Cassation :
Cet arrêt a réformé une décision de la Cour d’Appel de Paris du 14 octobre 2020. Il se trouve en effet que pour débouter Monsieur T. de sa demande de nullité de la rupture de son contrat de travail, la Cour après avoir constaté que le salarié avait été absent du 29 mai 2012 au 31 octobre 2013 à la suite d’un accident du travail du 29 mai 2012 et que la lettre de licenciement reprochait une absence injustifiée depuis le 1er novembre 2013, malgré deux mises en demeure des 28 novembre et 9 décembre 2013, a retenu d’abord que :
- Le salarié ne justifiait pas qu’il ait manifesté son intention de reprendre le travail ou qu’il ait sollicité l’employeur dans ce sens ;
- Qu’il ne peut reprocher à son employeur l’absence de cette visite de reprise ;
- Le licenciement intervenu sans cette visite de reprise n’implique pas ipso facto la nullité de cette rupture, celle-ci n’étant encourue que si la faute grave alléguée n’est pas établie.
La cour avait même pris le soin d’ajouter que tant que le salarié n’avait pas manifesté sa volonté de reprendre le travail ou demandé l’organisation de la visite de reprise, aucun manquement ne pouvait être reproché à l’employeur. Qui plus est, la cour avait également relevé que le salarié ne démontrait pas avoir adressé à l’employeur d’autre arrêt de travail après le 31 octobre 2013, si ce n’est un arrêt de travail du 1er décembre 2013 au 31 mars 2014 tandis que l’employeur établissait avoir adressé deux mises en demeure du 28 novembre et 9 décembre 2013, de sorte qu’il en résulte une absence injustifiée entre le 1er novembre et le 30 novembre inclus, malgré au moins une mise en demeure dans ce laps de temps. Ce fait suffisant à caractériser une faute grave et à fonder le licenciement intervenu.
Or, cette décision a été réformée par la Cour de Cassation le 1er juin 2023, rappelant à juste titre l’existence de l’obligation de loyauté du salarié. C’est en application des textes suivants qu’elle a pu ainsi casser l’arrêt de la Cour d’Appel de Paris : le licenciement en cas d’arrêt de travail est en effet aujourd’hui régi par les articles L. 1226-7, L. 1226-9, L.1226-13, R. 4624-22 et R. 4624-23 du code du travail.
C’est ainsi qu’une partie de l’article L. 1226-7 du Code du travail rappelle notamment :
« Le contrat de travail du salarié victime d’un accident du travail, autre qu’un accident de trajet, ou d’une maladie professionnelle est suspendu pendant la durée de l’arrêt de travail provoqué par l’accident ou la maladie. »
Et l’article L. 1226-13 du Code du travail stipule :
« Toute rupture du contrat de travail prononcée en méconnaissance des dispositions des articles L. 1226-9 et L. 1226-18 est nulle. »
Mais c’est surtout l’article L. 1226-9 du Code du travail qui a permis à la Cour de Cassation de rendre son arrêt, lequel est ainsi rédigé :
« Au cours des périodes de suspension du contrat de travail, l’employeur ne peut rompre ce dernier que s’il justifie soit d’une faute grave de l’intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l’accident ou à la maladie. »
C’est donc dire qu’à défaut de faute grave du salarié ou de la possibilité de maintenir le contrat du salarié en cause pour des raisons étrangères à l’accident, son licenciement est nul. Cependant, la Cour de Cassation dans son arrêt du 1er juin 2023 rappelle qu’en pareil cas l’employeur peut seulement reprocher au salarié des manquements à l’obligation de loyauté. Or, la société n’a pas justifié du manquement de Monsieur T. à son obligation de loyauté.
Il y a fort à parier que de nombreuses décisions à venir vont devoir définir avec précision l’obligation de loyauté du salarié. C’est d’ailleurs ce que la Cour de Cassation a d’ores et déjà commencé à établir dans un arrêt du 1ᵉʳ février 2023 où elle a apporté quelques précisions sur le respect de l’obligation de loyauté du salarié pendant un arrêt maladie.
Elle a ainsi déjà jugé que :
- L’exercice d’une activité, pendant un arrêt de travail provoqué par la maladie, ne constitue pas en lui-même un manquement à l’obligation de loyauté qui subsiste pendant la durée de cet arrêt ;
- Pour fonder un licenciement, l’acte commis par le salarié durant la suspension de son contrat de travail doit causer un préjudice à l’employeur ou à l’entreprise ;
- Le maintien du paiement intégral du salaire pendant la durée de l’arrêt maladie ne constitue pas à lui seul un préjudice pour l’employeur.
Il est vrai qu’il s’agissait du cas d’un salarié de la RATP qui avait participé à des compétitions de badminton pendant ses arrêts de travail dont l’origine était des douleurs aux poignets, au bras et/ou au cou…