La question de la protection patrimoniale de la personne handicapée, de la personne âgée ou encore de toute personne dont l’état nécessite une assistance, a toujours été débattue. Le Conseil Constitutionnel vient de la trancher.
Nombre de cas ont fait couler beaucoup d’encre, comme celui de la succession du compositeur Maurice Ravel, mort en 1937 sans enfant : son frère Édouard Ravel est seul héritier, et fait en 1956 (deux ans après un grave accident qui l’a handicapé) légataire universelle sa masseuse, Jeanne Taverne dont le mari est également le chauffeur d’Édouard. C’est ainsi qu’ils ont fait l’objet d’une multiplicité de procédures menées par les petits neveux Ravel pour captation d’héritage.
Dans tous les cas, il arrive que les aidants au plus près de la vie courante soient gratifiés de leur attention constante de la personne handicapée qui par définition, il est vrai, a besoin d’aide(s) de tout ordre. Cependant le plus souvent la famille s’oppose – voire s’arc-boute – à la gratification des aidants au sens générique du terme, par l’aidé. Or, récemment encore une question prioritaire de constitutionnalité a été élevée devant le Conseil Constitutionnel qui a ainsi rendu une décision le 12 mars 2021.
Sur le rôle du conseil constitutionnel
Le Conseil Constitutionnel a été introduit dans le système juridique français par l’entrée en vigueur de la constitution promulguée le 4 octobre 1958. Sa création renvoie à deux textes fondamentaux : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, tandis que la Charte de l’environnement de 2004 leur a été adjointe plus récemment. Son rôle est celui d’assurer le respect de la constitution et il effectue donc un contrôle de constitutionnalité des lois et des traités internationaux. Son contrôle s’exerce de manière systématique pour ce qui concerne les lois organiques avant leur promulgation ainsi que pour les règlements des assemblées parlementaires, tandis que les lois ordinaires peuvent, elles, être contrôlées a priori sans caractère obligatoire.
Toujours est-il que depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, il a été mis en place la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au gré de laquelle tout citoyen peut le saisir à propos d’une loi déjà entrée en vigueur. C’est le cas de la saisine ayant donné lieu à la décision du 12 mars 2021.
Sur les faits débattus
Mme Fouzia L. qui exerçait les fonctions d’employé de maison au domicile d’une femme s’est vue désignée par cette dernière, légataire à titre particulier de son appartement. Les cousins de la défunte, désignés légataires universels par la défunte, ont alors intenté une action en nullité du legs particulier en faveur de Mme Fouzia L. C’est dans ces conditions que Mme Fouzia L. a reproché à l’article L 116-4 du code de l’action sociale et des familles ainsi qu’à l’article L 7231-1 du code du travail d’interdire aux personnes âgées de gratifier ceux qui leur apportent, contre rémunération, des services à la personne à domicile.
Elle a considéré que cette interdiction formulée de façon générale, sans prendre en compte la capacité juridique ou l’existence ou non d’une vulnérabilité particulière des testateurs, porterait atteinte à leur droit de disposer librement de leur patrimoine. Il en résulterait une méconnaissance du droit de propriété. C’est ainsi qu’ont dû être examinés : le caractère proportionnel de l’atteinte et la portée de l’atteinte par rapport à l’intérêt général poursuivi.
Sur les conséquences de la décision du Conseil Constitutionnel du 12 mars 2021
Sur le cadre légal : l’analyse du conseil constitutionnel porte sur les mots « ou d’un service soumis à l’agrément ou à déclaration mentionnée au deuxièmement de l’article L 7231-1 du code du travail » figurant au premier alinéa du paragraphe 1 de l’article L 116-4 du code de l’action sociale et des familles et sur les mots « ainsi qu’aux salariés mentionnés à l’article L7221-1 du code du travail accomplissant des services à la personne définie au deuxièmement de l’article L7231-1 du même code ».
Sur l’application concrète : concrètement, interdiction est faite aux responsables, employés ou bénévoles des sociétés délivrant de tels services ainsi qu’aux personnes indirectement employées par celles qu’elles assistent, de recevoir de ces dernières des donations ou des legs.
Cependant, cette interdiction ne vaut que pour les libéralités consenties pendant la période d’assistance du donateur conformément aux dispositions de l’article L 116-4 du code de l’action sociale et des familles. C’est dire que l’interdiction ne s’applique pas aux gratifications rémunératoires pour services rendus, ni en l’absence d’héritiers en ligne directe, à l’égard des parents jusqu’au quatrième degré.
Or, le Conseil Constitutionnel va décider que les dispositions légales visées par la requérante sont contraires à la constitution (inconstitutionnelles) et ainsi déclarer qu’il y a une méconnaissance du droit de propriété. Sa décision a donc supprimé les mots « ou d’un service soumis à l’agrément ou à la déclaration mentionné au deuxièmement de l’article L.723-1 du code du travail » figurant au premier alinéa du paragraphe 1 de l’article L 116-4 du code de l’action sociale et des familles et les mots « ainsi qu’aux salariés mentionnés à l’article L 7221-1 du même code » figurant au second alinéa du même paragraphe.
Les raisons en sont simples, en réalité. Il ne suffit pas que la personne soit handicapée ou âgée, ou encore qu’une personne soit placée dans une situation nécessitant une assistance à domicile, pour en déduire que sa capacité à consentir est altérée. De même, l’interdiction s’appliquait également dans le cas où pourrait être apportée la preuve de l’absence de vulnérabilité ou de dépendance du donateur à l’égard de la personne qui l’assiste.
Sur la date d’application de la décision : à l’instar de la loi qui ne dispose que pour l’avenir et n’a point d’effet rétroactif en application de l’article 2 du Code Civil qui prévoit ce principe, les décisions du Conseil Constitutionnel ne valent que pour l’avenir à moins d’une date postérieure fixée par la décision elle-même. Le principe est que ses décisions ne valent que dès que la publication au Journal Officiel est réalisée. C’est une question de stabilité juridique. Toutefois, ici le Conseil rend sa décision « applicable à toutes les affaires non jugées définitivement » à la date de sa publication au Journal Officiel, effective le 13 mars 2021.
Sur l’application de la décision de 2021 au cas de la succession Ravel : Mme Jeanne Taverne qui était masseuse au service de M. Édouard Ravel était bien son employée lorsque ce dernier lui a légué les droits d’auteur reçus de son frère Maurice, dont ceux sur le Boléro qui est, rappelons-le, jusqu’aux années 1990 la création française la plus jouée au monde.
C’est donc dire qu’elle aurait pu ne pas être inquiétée – elle et tous ses ayants droit – par des années de procédure… mais si elle avait été appelée à bénéficier de son héritage postérieurement à la publication de la décision du 12 mars 2021, soit près de 67 ans après !