ESAT : l’usager deviendra-t-il un travailleur ?

Petit rappel 

Un ESAT est une structure qui permet aux personnes en situation de handicap d’exercer une activité professionnelle tout en bénéficiant d’un soutien médico-social et éducatif dans un milieu protégé. Cette structure accueille donc des personnes qui n’ont pas acquis assez d’autonomie pour travailler en milieu ordinaire ou dans une entreprise adaptée à leurs besoins. Elles peuvent ainsi exercer une activité professionnelle mais aussi maintenir les acquis scolaires, tout en développant des compétences métiers.

Historique

L’ESAT est né de services qui ont été proposés aux personnes handicapées depuis le début du XXe siècle. Au départ, il s’agissait de classes de perfectionnement pour des élèves handicapés et après la Première Guerre mondiale ont été mis en place des établissements permettant une discrimination positive pour les mutilés de guerre.

Les ESAT sont donc à la croisée des chemins entre le productif et l’éducatif, puisque ses usagers doivent fournir un travail adapté aux différents publics accueillis mais ils ont également pour mission de favoriser l’autonomie sociale de ces mêmes personnes.

Cependant, la question qui se pose aujourd’hui est celle de savoir si la personne ainsi employée a qualité de « travailleur » et au cas de M. Fenoll, usager de 1996 à 2005 du CAT La Jouvene (Vaucluse), s’il avait bien vocation à bénéficier de cinq semaines de congés payés. C’est en effet ce que la Cour de Justice de l’Union Européenne a tranché dans son arrêt du 26 mars 2015 qui avait à interpréter la notion de « travailleur » au sens de la Directive 2003/88/CE du parlement européen et conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps du travail ainsi que de l’article 31 de la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne.

Sur les faits

M. Fenoll a été usager du CAT [appellation des ESAT à l’époque] La Jouvene pendant près de neuf ans, lorsque le terme de son « usage » est survenu le 16 octobre 2004, placé en arrêt-maladie à partir de cette date et ce, jusqu’au 20 juin 2005. Il avait acquis à cette époque douze jours de congés annuels. Il s’est donc réclamé du paiement d’une contrepartie financière de 945 €, étant ici précisé qu’il a déjà antérieurement bénéficié de cinq semaines de congés annuels payés.

Sur la procédure

Le tribunal d’instance d’Avignon que M. Fenoll avait saisi, a rejeté sa demande en dernier ressort. Il s’est donc pourvu devant la Cour de Cassation. La Cour a alors saisi la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) afin de l’interroger alors que la résolution du litige était conditionnée par l’interprétation d’une norme de l’Union Européenne. C’est le process de la question préjudicielle posée.

Le cœur des deux questions ainsi posées était le suivant :

  1. L’article 3 de la Directive 89/391, à laquelle renvoie les dispositions de l’article premier de la directive 2003/88 qui ont déterminé le champ d’application, doit-il être interprété en ce sens qu’une personne admise dans un CAT peut être qualifié de travailleur au sens dudit article 3
  2. Une personne telle que celle décrite à la première question peut-elle se prévaloir directement des droits qu’elle tient de la charte pour obtenir des droits à congés payés si la réglementation nationale ne prévoit pas qu’elle bénéficie de tel droit est le juge national doit-il, pour garantir le plein effet de ce droit, laisser inappliquées toutes dispositions de droit national contraire ?

C’est ainsi que la CJUE a apprécié que le statut de « travailleur » devait être reconnu pour une personne admise dans un CAT et ce, en se fondant sur le fait que le juge national doit notamment vérifier si les prestations effectivement accomplies par l’intéressé sont susceptibles d’être considérées comme relevant normalement du marché de l’emploi. Elle a pour ce faire examiné en détail les activités de M. Fenoll et considéré qu’elles ne sont pas créées dans le but de procurer une occupation, le cas échéant dérivative, aux intéressés. La Cour a aussi précisé que ces activités, bien qu’adaptées aux capacités des personnes concernées, présentent une certaine utilité économique. En revanche, M. Fenoll a été privé de toute contrepartie financière et donc de ses congés payés autrefois servis du fait du défaut d’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne et de la charte qu’il visait.

C’est donc dire que l’usager d’un ESAT est aujourd’hui bel et bien reconnu comme s’agissant d’un travailleur, mais les droits du salarié ne lui sont toujours pas accordés. Le statut de l’usager d’un ESAT reste en effet sui generis. Il lui reste donc propre, sans raison particulière, ce qui l’expose à de multiples risques. Pourtant, le salarié demeure défini comme s’agissant d’une personne qui s’engage à exécuter un travail, pour le compte d’un employeur, en contrepartie d’une rémunération.