Leur calcul en période de maladie a mobilisé, en six mois, Cour de justice européenne, Cour de Cassation, Conseil Constitutionnel, Conseil d’État, Gouvernement et Parlement !
Rappel des faits : les salariés en maladie auraient dû bénéficier depuis 30 ans de congés payés en vertu du droit européen dont la Cour de justice a plusieurs fois condamné la France, conduisant la plus haute juridiction civile française à aligner sa jurisprudence sur ce droit européen. Effrayés par les conséquences financières d’un redressement en faveur des salariés concernés pendant ces 30 années, les employeurs ont incité le Gouvernement à modifier la législation, ce qu’il vient d’obtenir du Parlement après avoir sollicité l’avis juridique du Conseil d’État.
I – Sur la situation avant l’avis du Conseil d’État du 13 mars 2024 :
Les arrêts de la Cour de Cassation du 13 septembre 2023 (lire cette analyse) ont entraîné une situation d’insécurité juridique dans la mesure où toutes les procédures en cours concernant évidemment les congés payés devaient être rectifiées, mais surtout l’établissement des bulletins de salaire… et de fait le paiement. Le MEDEF avait évalué les conséquences des arrêts à la somme de 2,5 milliards d’euros à régler par les employeurs. La Cour de cassation avait en effet, par ses décisions de 2023, sommé l’exécutif de mettre le droit du travail en conformité avec le droit européen en matière de congés payés.
C’est ainsi que le Conseil d’État a été saisi par le Premier ministre d’une demande d’avis portant sur la mise en conformité des dispositions du Code du travail en matière d’acquisition de congés pendant les périodes d’arrêt maladie et plus précisément en ces termes :
- La Cour de cassation, par plusieurs décisions en date du 13 septembre 2023, a mis en exergue la non-conformité du droit français avec le droit européen en matière de congés payés ;
- Cette non-conformité est apparue à la suite de plusieurs décisions de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). La Cour de cassation a fait prévaloir le droit de l’Union européenne sur les dispositions contraires du droit national en s’appuyant sur la jurisprudence de la CJUE qui a retenu que le droit de tout travailleur à une période annuelle de congés, consacré par l’article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne constituait un principe essentiel du droit de l’Union.
En application du droit de l’Union européenne et de la jurisprudence de la Cour de cassation, les salariés doivent acquérir des congés en arrêt maladie, quelle que soit l’origine de la maladie (professionnelle ou non). Par ailleurs, la jurisprudence considère que le délai de prescription ne commence à courir qu’à partir du moment où l’employeur a mis le salarié en mesure de prendre ses congés payés.
D’autre part, le Conseil constitutionnel saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité a jugé dans sa décision du 8 février 2024 que les dispositions prévues actuellement au 5° de l’article L. 3141-5 du Code du travail étaient conformes à la Constitution. Il a en effet estimé que ces dispositions, qui permettent d’assimiler à des périodes de travail effectif les seules périodes d’absence du salarié pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle, sans étendre le bénéfice d’une telle assimilation aux périodes d’absence pour cause de maladie non-professionnelle et en limitant cette assimilation à une durée ininterrompue d’un an, ne portent pas atteinte au droit au repos. Elles ne portent pas non plus atteinte au principe d’égalité car les salariés en arrêt pour motif professionnel sont dans une situation différente des salariés en arrêt pour motif non-professionnel, et car cette différence est en rapport avec l’objet de la loi qui était de compenser une perte de droit résultant de l’exécution du contrat de travail lui-même.
Dans ce cadre, le Gouvernement a voulu proposer rapidement un amendement permettant de rendre le droit du travail français conforme avec le droit de l’Union européenne dans le cadre du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière d’économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole, qui sera adopté par le Parlement dans les prochains jours.
Le Gouvernement a souhaité recueillir l’avis du Conseil d’État sur son projet d’amendement ainsi que sur les questions suivantes :
- 1° Existe-t-il des obstacles constitutionnels ou conventionnels qui empêcheraient de prévoir que les salariés en arrêt maladie d’origine non-professionnelle acquièrent des congés dans la limite de quatre semaines et qui imposeraient donc que ces derniers acquièrent cinq semaines de congés payés ?
- 2° S’il est admis qu’il est possible de prévoir que les salariés en arrêt maladie d’origine non-professionnelle acquièrent des congés dans la limite de quatre semaines, est-il possible de considérer pour le passé que le droit à congés payés acquis pendant les congés de maladie non professionnelle n’a jamais excédé quatre semaines et de fixer cette interprétation dans la loi ?
- 3° Serait-il possible de prévoir un délai de report des congés inférieur à quinze mois au regard du droit de l’Union européenne ?
- 4° Quel doit être le point de départ du délai de report des congés acquis au titre de l’arrêt maladie ?
- 5° Est-il possible de prévoir deux délais de report différents selon que les congés ont été acquis avant l’arrêt maladie ou au titre de l’arrêt maladie ?
- 6° Au regard de la finalité même du droit au congé annuel payé, qui est de bénéficier d’un temps de repos, serait-il possible d’appliquer de manière rétroactive aux situations passées la durée maximale de report des congés ?
- 7° Une loi de validation qui viserait à éteindre les contentieux des salariés demandant l’indemnisation au titre des congés qui auraient dû être générés dans leurs arrêts maladie passés présente-elle des risques constitutionnels et conventionnels ?
II – Sur la situation après l’avis du Conseil d’État du 13 mars 2024 :
Par cet avis, la haute juridiction a (i) limité la rétroactivité (limite au-delà de laquelle on ne peut remonter) à 15 mois (ii) sur la base de 4 semaines (24 jours ouvrables) de congés par an.
L’amendement gouvernemental du 15 mars 2024 adopté trois jours après par le Parlement a modifié immédiatement et en conséquence les textes des articles L 1251-19, L 3141-5, L3141-5-1, L 3141-19, L 3141-19-3, L3141-19-2, L3141-20 du code du Travail. Les syndicats se faisaient « gorge chaude » de ce que les employés allaient pouvoir réclamer, mais la CFE-CGC a quant à elle indiqué qu’on était loin du compte !