La discrimination tenant aux refus d’accès d’un chien d’aveugle ou chien d’accompagnement dans un hôtel est sanctionnée différemment selon que le juge français, le juge canadien ou encore un arbitre appréciant une situation aux États-Unis, la sanctionne : IRVING/UBER – décision du 18 mars 2021.
À la lueur d’une décision du procureur général auprès de la Cour d’Appel de NANCY du 19 mai 2020 se pose la question de la meilleure voie de droit à adopter vis-à-vis d’un hôtelier qui a refusé l’accès à son établissement du fait que son client était accompagné d’un chien d’aveugle.
Dans les faits, Madame X est aveugle et dotée d’un chien pour la conduire et s’est vu refuser la prise de possession de sa chambre… du fait de la présence de son fidèle accompagnateur…
Elle s’est alors présentée à la gendarmerie de GUYANCOURT pour déposer plainte sur le fondement de l’article R. 241–23 du Code de l’Action Sociale et des Familles.
Or, ce texte prévoit de manière expresse que : « L’interdiction des lieux ouverts au public aux chiens guides d’aveugles et aux chiens d’assistance mentionnés au 5° de l’article L. 245-3, qui accompagnent les personnes titulaires de la carte mobilité inclusion comportant les mentions : “ invalidité ” ou “ priorité pour personnes handicapées ” mentionnées à l’article L. 241-3, de la carte d’invalidité mentionnée à l’article L. 241-3 et de la carte de priorité mentionnée à l’article L. 241-3-1 dans leur rédaction antérieure au 1er janvier 2017, est punie de l’amende prévue pour les contraventions de la 3e classe. »
Il faut donc en déduire qu’une contravention de troisième classe ne peut être établie que si l’accès d’un chien d’aveugle ou d’un chien d’assistance est refusé dans un lieu ouvert au public.
Quid du cas de Mme X alors que le Procureur de la république a classé sans suite sa plainte et le procureur Général confirmé sa décision en France ?
Comme bien souvent, des faits peuvent tomber sous le coup de plusieurs qualifications pénales, par exemple.
C’est le cas du refus d’accès d’un chien aveugle ou d’un chien d’assistance dans une chambre d’hôtel.
a) L’article R. 241–23 du Code de l’Action Sociale et des Familles :
Il se trouve en effet que la Cour de cassation, cour suprême en France, a dans un arrêt du 14 janvier 2010 (pourvoi 08-16.022) apprécié le caractère privé des chambres d’un établissement hôtelier dans le cadre de demande de paiement de redevances à la SACEM pour diffusion d’œuvres musicales relevant de son répertoire.
C’est la seule décision qui permette de qualifier une chambre d’hôtel d’espace à caractère privé alors que par définition un hôtel est bien sûr un lieu ouvert au public.
b) L 121–11 du Code de la Consommation :
Il est évident que ce refus d’accès auquel s’est exposée Madame X peut s’apparenter à un refus de vente.
La handicapée aveugle est en effet discriminée.
– Bref rappel historique :
L’article 30 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 aujourd’hui abrogé prévoyait que : « il est interdit de refuser un consommateur la vente d’un produit ou la prestation d’un service, sauf motif légitime, et de subordonner la vente d’un produit à l’achat d’une quantité imposée ou à l’achat concomitant d’un autre produit d’un autre service ainsi que de subordonner la prestation d’un service à celle d’un autre service ou à l’achat d’un produit »
Il est aujourd’hui substitué par l’article L 121–11 du code de la consommation qui interdit : « le refus de vente par un professionnel à un consommateur sauf en cas de motif légitime et s’applique à toutes les activités de vente, de services ou de distribution. »
Quant à la définition du motif légitime, vous l’aurez observé, le texte reste muet.
Il convient donc de se référer aux motifs prévus par l’ancienne disposition que sont : la disponibilité du produit, la possibilité d’exécuter service ou encore la demande anormale ou la mauvaise foi de l’acheteur.
La jurisprudence (ensemble de décisions rendues sur le même fondement) a, de son côté, également dans un arrêt de la Cour de cassation du 21 octobre 1998 (pourvoi 97–80. 981) précisé le motif légitime comme s’agissant de l’indisponibilité du produit ou du service.
Toujours est-il que la sanction de la discrimination est prévue aux articles 225-1 à 225-1-2 du Code Pénal, qui distingue selon le cas où la discrimination est commise à l’égard d’une personne physique ou morale, punie de trois ans d’emprisonnement et de 45.000,00 € d’amende.
Mais le cas de Mme X n’est pas unique puisqu’aussi bien au Canada ou aux États-Unis des cas similaires ont été jugés.
Cependant, il y a lieu de distinguer le droit latino-romain applicable en France qui est un état de droit écrit se fondant principalement sur ses codes.
À l’opposé, se situent le droit anglo-saxon fondé sur la jurisprudence, ensemble des décisions rendues sur des sujets avoisinants.
Quid du cas de Madame X qui aurait été jugé au Canada ?
Dans une décision du Tribunal des Droits de la Personne du Québec du 16 avril 2021, M. HUARD et Mme CHAMPAGNE se sont vu allouer la somme de 6 000 CAD$ à titre de dommages moraux et 500 CAD$ à titre de dommages punitifs, outre 132 CAD$ en réparation de dommages matériels, pour avoir précisément été refusés à séjourner dans un hôtel alors que Monsieur HUARD est accompagné lui-aussi d’un chien guide.
Il se trouve en effet que le juge a considéré que son droit à la reconnaissance et à l’exercice en pleine égalité de son droit à l’accès à un lieu public et aux services disponibles a été compromis.
Qui plus est, le juge a apprécié que l’hôtelier a également porté atteinte de manière discriminatoire à son droit à la sauvegarde de sa dignité.
Il faut aussi ici noter que le juge canadien du Québec apprécie à l’instar du juge français, le texte légal applicable par priorité.
À ce stade, il est clair que l’hôtelier de NANCY aurait donc incontestablement été sanctionné.
Il est également certain que le juge canadien apprécie les dispositions légales de manière extensive, là où le juge pénal français les apprécie de manière restrictive.
C’est la garantie du justiciable dit-on dans ces états de droit écrit.
Quid du cas de Madame X jugé par un arbitre et que les faits se seraient situés aux États-Unis ?
Dans une décision arbitrale rendue par Rudy GERBER le 18 mars 2021 (IRVING/UBER TECHNOLOGIES INC AAA CASE N0011800027614), Madame IRVING s’est vue elle, refuser à quatorze (14) reprises, l’accès à un taxi par la plate-forme UBER en raison de la présence de son chien guide.
C’est ainsi qu’il lui a été alloué 1.100.000 US$ du fait de la violation de l’AMERICAN WITH DISABILITIES ACT (ADA).
Ses dommages-intérêts se décomposent, cela étant, de la manière suivante :
• 324 000 US$ au titre de son préjudice personnel,
• 805 313 US$ au titre des honoraires de ses avocats et des frais de justice.
Toujours est-il que l’apparenté avec le cas de Madame X est évident puisqu’elle est également accompagnée d’un chien d’aveugle ou chien d’assistance.
Il ne vous aura cependant pas échappé que c’est ici un arbitre qui a rendu cette décision, et non une juridiction étatique.
UBER a donc ici tenté de se débarrasser de la publicité des débats propres aux juridictions étatiques, à moins qu’une clause d’arbitrage soit incluse à ses conditions générales de vente… pour être jugé devant un arbitre
Pour autant, le choix de la loi américaine a exposé UBER à l’application de textes très rigoureux.
Il se trouve en effet que l’ADA prohibe la discrimination contre les personnes présentant des handicapés dans tous les secteurs de la vie publique incluant le transport.
En outre, l’arbitre va dès lors raisonner par équivalence de situations appréciées et jugées par d’autres juges.
Ce n’est donc pas par définition la même manière d’apprécier le texte, ni le dommage et dès lors de sanctionner.
L’avenir ne le dit pas mais il y a fort à parier que le cas de Mme X aurait été jugé bien différemment par cet arbitre qu’il ne l’a été par le juge français…
La première question à se poser est donc celle du droit applicable en tout premier lieu et aussi, à prévoir le nombre des textes applicables en France du moins… !